• Cours intégral (1ère partie, chap. 1, n° 2 et début du chap. 2)

    B – L’extension du consensualisme : la théorie des contrats innommés et des pactes

     

    Rappel : vision étroite et concrète du C en dt romain → le C (formel, réel ou consensuel) est une convention (accord des volontés) expressément définie, nommée par le dt et sanctionnée par une action. En dehors des catégories reconnues par le dt, les conventions sont inefficaces :

     

    « Du pacte nu ne naît aucune action » (Paul)

     

    Pacte nu : une convention qui ne correspond à aucun modèle admis en vue de produire des obligations.

    Conséquence : le consentement n’est en principe pas créateur d’obligation (il l’est dans le cadre de qqs exceptions : vente, louage, société, mandat)

    La nouveauté: recours de plue en plue fréquent en pratique au pacte nu, à la convention (negocia), incompatible avec une typologie par nature insuffisante et inadaptée. Préteurs et jurisprudents ont adapté le dt à la pratique en élargissant le champ d’application du consensualisme grâce à la théorie des C innommés et la reconnaissance de certains pactes.

     

    Théorie des contrats innomés

     

    Principe : toute cvtion qui ne peut entrer dans aucune catégorie de C existant (nommé), mais qui a été exécutée par l’une des parties alors qu’elle engendre des obligations réciproques peut être qualifiée de C et donc assortie d’une action.

     

    En partant de cette définition, il est possible de dégager :

    1. les éléments constitutifs du C innommé
    2. une classification théorique de ces C
    3. leur sanction

     

    a / les éléments constitutifs du contrat innommé

    pour que se forme un CI (C innommé), il faut :

    1. une convention (accord des volontés)
    2. que cette convention ne soit pas un C nommé (inclus dans la typologie existante)
    3. qu’elle engendre des obligations réciproques (dare, facere/non facere, praestare)
    4. qu’elle ait fait l’objet d’une exécution unilatérale (que l’un des contractants ait exécuté la prestation mise à sa charge)

    Très important : le CI n’est formé qu’à la condition que cette prestation unilatérale ait été exécutée.

    Question : on peut légitimement s’interroger sur la nature de ce C. S’agit-il d’un C réel (formé par la remise d’une chose)?

    Négatif : deux raisons à cela,

    1. parce que la prestation exécutée ne consiste pas forcément en la remise d’une chose (ce peut être un facere ou non facere)
    2. parce que dans le C réel, celui qui a reçu la chose doit rendre exactement ce qu’il a reçu, ce qui n’est pas le cas ici, dans l’hypothèse où la partie qui s’est exécutée a remis une chose à son cocontractant : ce dernier peut faire ou ne pas faire, rendre une chose différente… en somme il doit fournir une contrepartie de nature différente.

    Conséquence : il s’agit bien d’une situation contractuelle « non identifiée », qui n’entre dans aucune des catégories sanctionnées.

    Autre définition possible du CI : convention synallagmatique qui devient obligatoire par l’exécution que l’une des parties fait de son obligation.

    Les situations susceptibles de correspondre à ce schéma sont innombrables. Les jurisconsultes ont donc proposé une classification en 4 catégories ou combinaisons théoriques.

     

    b / classification des contrats innomés

    do ut des : je donne pour que tu donnes (ex / l’échange)

    do ut facias : je donne pour que tu fasses

    ex / donation avec charge : le donateur exige du donataire qu’il fasse qqc en contrepartie de la donation (verser une pension alimentaire, une rente, payer les créanciers du donateur…)

    ex / exemple typique de l’époque (dont font état les sources) : « je te donne mon esclave x pour que tu affranchisses ton esclave y » (hypothèse où y était l’enfant naturel du maître de x)

    facio ut des : je fais qqc pour que tu me donnes qqc (ex / le contrat estimatoire / aestimatum, également typique de cette période)

    → contrat en vertu duquel un marchand / fabricant remet des marchandises à un colporteur en simple détention. Il en estime le prix (ex/ 100) et charge le colporteur de les vendre. Si le colporteur vend l’objet au prix estimé, il devra verser 100 au marchand, s’il vend plus cher (150), il versera 100 et conservera pour lui la différence (50) ; s’il ne vend pas, il devra restituer la marchandise.(c’est bien une convention qui n’entre dans aucun cadre de C connu, même s’il se rapproche de la vente, du louage, de la société, du mandat, du dépôt ; mais il n’est assimilable à aucun d’eux)

    facio ut facias : je fais pour que tu fasses

    ex / transaction : elle peut intervenir entre les partie à un procès, pour y mettre fin. L’un des plaideurs fait qqc (il verse par exemple une somme d’argent, mais ce peut être une prestation d’une autre nature), tandis que l’autre renonce à agir (facio ut non facias)

     

    Toutes ces opérations, pour être créatrices d’obligations, doivent être sanctionnées.

     

    c / la sanction des contrats innommés

    La démarche d’extension du champ des obligations contractuelles n’est plus ici empirique (« sédimentation » contractuelle qui répond à un besoin, dépourvue de logique théorique). La sanction des C innommés résulte au contraire d’une construction théorique, qui repose sur l’abstraction (ce qui est très nouveau). Ce sont les jurisprudents qui sont à l’origine de cette démarche : on définit de manière abstraite, théorique les éléments constitutifs du C innommé et on accorde une action pour tous les cas – pratiques –  qui épouseront ce schéma théorique.

    En réalité, sous Justinien, celui qui a exécuté sa prestation dispose de deux types d’actions contre son cocontractant défaillant :

    ► une action visant à l’exécution de la contre prestation (elle consiste à demander des dommages intérêts exorbitants afin de contraindre le débiteur à exécuter sa prestation en nature : celle-ci étant moins onéreuse pour lui qu’une indemnisation exagérée)

    ► deux actions visant à la résolution du contrat (sanction qui consiste à effacer rétroactivement les obligations nées d’un C synallagmatique, lorsque l’une des parties n’exécute pas sa prestation). Le créancier agit alors en répétition de la chose transmise (en cas de dare ou praestare), ou en répétition de la valeur de la prestation effectuée (facere / non facere)

     

    Une ultime question se pose concernant les CI : sont-ils vraiment consensuels et ont-ils dès lors participé à l’extension du consensualisme ?

     

    d / Nature mixte des contrats innommés

     

    Avec le CI, le consensualisme progresse puisque la naissance de l’obligation suppose un accord des volontés. Cependant, cet accord des volontés ne suffit pas puisque l’on exige aussi l’accomplissement d’une prestation (exécution unilatérale de l’une des obligations réciproques).

    Que dire alors de la nature de ce contrat ?

    1. ce n’est pas un C purement consensuel (puisque l’accord des volontés ne suffit pas)
    2. il s’agit d’une opération mixte, à la fois consensuelle et onéreuse : le caractère onéreux renvoie ici à l’exécution unilatérale de l’une des obligations réciproques (accomplissement d’une prestation), élément « onéreux » nécessaire à la formation du C (et non pas élément « réel » puisque cette prestation, encore une fois, ne consiste pas forcément en la remise d’une chose).

    → En dépit de leur nature « hybride », « l’apparition des C innommés est une étape importante dans l’évolution vers la liberté contractuelle » (Jean DAUVILLIER), liberté contractuelle jamais acquise en droit romain.

     

    Conclusion sur les C innommés : ils contribuent à l’élargissement du champ des O contractuelles, mais n’épuisent pas encore tts les possibilités d’obligations licites. Restent encore en dehors du dt  les simples accord, les conventions ou « pactes nus », auxquels le droit romain ne reconnaît pas d’efficacité, faute de sanction.

     

    2° -  La reconnaissance de certains pactes

    En principe, un pacte (convention – accord des volontés – non sanctionnée) n’est pas créateur d’obligation puisque « du pacte nu ne naît aucune action ».

    La rigueur du principe sera atténuée par la reconnaissance de certains pactes, en raison de leur utilité pratique (réponse empirique à un besoin).

    La jurisprudence et le préteur ont admis deux catégories de pactes privilégiés : les pactes adjoints et les pactes prétoriens. Le mouvement s’est poursuivi au BE avec la sanction des pactes légitimes par les constitutions impériales.

     

    a  /  pactes adjoints

    Il s’agit de pactes (conventions) « attachés », joints à un contrat existant (appartenant à une catégorie connue et sanctionnée : contrat formel ou consensuel). On dit qu’ils ne sont pas autonomes. Ce sont les jurisconsultes du BE qui ont élaboré la théorie des pactes adjoints, en les considérant comme faisant partie du contrat qui leur sert de support.

    La sanction de ces pactes n’est autre que l’action du contrat principal qu’ils viennent  compléter ou modifier (pas d’action distincte et spécifique au pacte joint).

    Classification :

    1. les pactes « de renforcement », qui tendent à augmenter ou renforcer l’obligation principale
    2. les pactes « minutoires » qui diminuent l’obligation principale
    3. les pactes conclus en même temps que le contrat principal et les pactes conclus après

    Efficacité : tous ne sont pas créateurs d’obligations. Leur efficacité – et donc leur sanction – dépend à la fois du contenu et du moment de la conclusion. Par exemple la jurisprudence refuse de donner effet à un pacte de renforcement conclu tardivement (bien après le contrat principal). La conclusion « simultanée » est ici un critère favorable à la reconnaissance de ces pactes.

    Exemples :

    le pacte de distrahendo : joint au gage (contrat réel apparu à l’époque classique), il permet de faire du gage une véritable compensation, et non plus seulement un moyen de pression (les partie convenant dans le pacte que le créancier gagiste pourra se payer sur la chose à l’échéance de la dette, en cas de défaillance du débiteur). Pour lui donner effet, le créancier gagiste utilisera l’action qui sanctionne le C de gage (actio pigneraticiapignus : gage).

    le pacte commissoire : joint à la vente, il permet au vendeur d’obtenir la résolution du contrat pour non paiement du prix (l’action en résolution n’existant pas de plein droit pour les contrats nommés, à cause de l’indépendance des obligations réciproques). Pour lui donner effet il mettra en œuvre l’actio venditi qui lui est reconnue par le contrat principal.

     

    b / pactes prétoriens

    Oeuvre du préteur (d’où leur nom)

    Aucune abstraction dans la démarche : on sanctionne les pactes les plus usuels, ceux qui correspondent à un besoin de la vie éco ou jdq

    Ce sont des pactes autonomes (créateurs d’O en eux mêmes, indépendants de tout autre contrat), sanctionnés par une action qui leur est propre.

    Classification :

    -         pacte de constitut

    Engagement de payer à une date fixe une somme d'argent déjà due (en vertu d'une obligation antérieure) : ce type de pacte a surtout été utilisé pour octroyer un report de dette (le créancier accorde un délai supplémentaire mais renforce la sanction en cas de non paiement à la deuxième échéance, car l'action particulière du pacte de constitut n'a pas les mêmes conséquences que l'action du contrat initial).

    -         Le préteur a également validé trois types de pactes qui figurent dans son édit sous l'appellation recepta : receptum arbitrii / receptum argentarii / receptum des bâteliers, aubergistes et maîtres d’écuries

    • receptum arbitrii: deux personnes décident de confier le règlement d'un litige à un arbitre qui accepte la mission (il s'agit donc d'une convention entre les parties d'une part et l'arbitre d'autre part). L'arbitre est tenu vis à vis des parties en vertu de ce pacte.
    • receptum argentarii: pacte par lequel un banquier (argentarius) consent sur demande de son client à payer une somme d'argent à un tiers.
    • receptumdes bâteliers, aubergistes et maîtres d'écurie, qui sont en vertu de ce pacte responsables des bagages, marchandises qui leur sont confiées par leurs clients (il s'agit d'assurer la protection des voyageurs victimes de transporteurs ou hôteliers malhonnêtes / les professionnels répondent des pertes, vols ou détériorations qui se produisent dans leurs locaux ou navires, sauf cas de force majeure)

    -         pacte de serment

    deux parties en litige (soit avant un procès, soit en cours de procès) concluent un pacte de serment, ce qui revient à s'en remettre à la preuve du serment pour mettre fin à leur différend : si au cours du procès, une des parties demande à l'autre d'appuyer ses prétentions d'un serment, l'adversaire ne peut s'y soustraire et le contenu du serment, considéré comme preuve, emporte la décision du juge. (ex / x se prétend créancier de y pour 100 : x et y concluent un pacte de serment et en cours de procès, x demande à y de prêter serment devant le juge / ce dernier pourra alors soit jurer qu'il ne doit rien, soit jurer qu'il doit 50 (ou une quelconque autre somme), soit jurer qu'il doit bien 100)

     

    c / pactes légitimes

    Oeuvre des constitutions impériales, d’où leur nom (lexlegis → légitime)

    Même démarche empirique que pour les pactes prétoriens (les constitutions impériales ont reconnu la validité de trois pactes légitimes)

    classification :

    -         la promesse de dot

    engagement de constituer une dot à la future épousée ; la promesse profite au  (futur) mari qui dispose, grâce à ce contrat, d'une action pour obtenir le paiement de la dot de son épouse.

    -        la promesse de donation

    il s'agit d'une promesse sans forme consacrée par Justinien en 531. A l'époque classique, elle n'avait aucun effet obligatoire sauf à être insérée dans le moule général de la stipulatio.

    -         le compromis

    Convention par laquelle deux parties en litige refusent de le faire trancher par le juge ordinaire (désigné par le préteur) et de la porter devant un arbitre privé librement choisi par elles. Le compromis précède le receptum arbitrii qui intervient entre les parties et l'arbitre. (Là encore, en droit classique, le compromis n'avait aucun effet par lui-même, sauf à l'insérer dans une stipulation)

    ► A la différence des contrats innommés qui sont de nature mixte - à la fois consensuels et onéreux - tous ces pactes sont des C purement consensuels.

    Grâce à ces institutions, le consensualisme a incontestablement progressé à Rome, mais quelle est vraiment, au terme de cette évolution, sa portée ? Quatre contrats consensuels "classiques" (vente, mandat, louage, société), les contrats innommés et certains pactes sanctionnés.

    Ces "modèles" suffisent-ils à couvrir toutes les situations contractuelles?

     

    La portée du consensualisme à Rome

    Le consens ne fut jamais admis en droit romain comme un principe général du dt des C . Il n'existe pas de règle générale donnant en principe un effet positif au consentement.

    Comparaison avec le droit contemporain (régi par le principe inverse) : le droit positif est en principe consensualiste, sauf exception, tandis qu'en dt romain le consensualime demeure l'exception. Bien que les contrats consensuels soient d'application courante, la pratique n'a jamais eu raison du formalisme qui caractérise la tradition juridique romaine.

    Deux raisons à cela :

    -         l’origine religieuse du dt romain : après la scission du juridique et du religieux, les mentalités sont restées fidèles à l'idée que le droit ne peut naître que du rituel et d'une certaine solennité. C'est une des raisons de l'enracinement du formalisme.

    -         le développement empirique du dt romain : un dt qui se construit et se perfectionne par créations successives  – les C – mais qui ignore l'abstraction, la théorie du C. Or, admettre le consensualisme comme un principe suppose toute une construction théorique autour du contrat (pour essayer de couvrir toutes les situations possibles grâce à un droit commun du contrat), ce à quoi les romains ne sont pas parvenus. Il n'y a pas en dt romain de théorie générale du contrat.

    Pour autant, à partir de la pratique contractuelle, les jurisconsultes ont dégagé un certain nombre de règles communes à tous les C : une construction plus proche de la « technique » du C que de la théorie, en raison de son caractère inachevé, imparfait, lacunaire.

    Cette « technique » du C tend à l’unité juridique – sans toujours y parvenir – dans les domaines

    1. de la formation
    2. de l’exécution
    3. de l’extinction

    des obligations contractuelles.

    Ce thème est développé dans une section III que nous ne traitons pas (et qui n’est donc pas au programme) mais que je laisse à votre disposition pour la cohérence de l’ensemble. Ceux qui le souhaitent peuvent ainsi en prendre connaissance au titre d’un complément de cours.

    Il est dès lors temps de conclure sur les origines romaines du droit des contrats.

     

     


    CONCLUSION DU CHAPITRE 
    LE DROIT ROMAIN DES CONTRATS, UNE CRÉATION EMPIRIQUE

     

     

    Dire que le DR des C est né d’une création empirique, cela revient à dire que c’est un dt essentiellement pratique (≠ théorique). Concrètement, cela signifie que le dt se développe, se construit, se perfectionne chaque fois qu’apparaît un besoin nouveau (lui-même lié à des facteurs économiques, sociaux, jdq, en perpétuelle évolution). La vie économique, les échanges créent un besoin auquel le système jdq existant ne peut pas répondre parce que c’est un système étroit, fermé, au sein duquel les individus doivent choisir l’outil jdq (le C) qui correspond le mieux à leur objectif. Si cet outil jdq n’existe pas, il faut le créer. Ce fut le rôle du préteur, par ex, pour de nombreux C ou catégories de C. Lorsqu’une opération était couramment pratiquée par les agents de la vie économique (cette opération permettant de répondre à un besoin précis), mais qu’elle ne faisait pas partie de la typologie des C existants, il pouvait la faire entrer dans la sphère du dt en accordant aux parties une action en justice. L’intégration d’un nouveau C se faisant par la reconnaissance d’une sanction jdq.

     

    1° -  Le droit romain connaît LES contrats

     

    C’est un dt qui se construit en réalisant des créations successives et empiriques pour répondre à des besoins divers. Conséquence : la diversité des besoins engendre la diversité des C. Diversité que l’on retrouve dans la formation des C, dans les sanctions (spécificité des actions), la terminologie (contrats, pactes) : ainsi les C peuvent-ils se nouer tantôt par les formes (verbales ou écrites), par la remise d’une chose ou l’exécution d’une prestation, tantôt par le seul échange des consentements, pour ne parler que de la formation du C.

    Toutes ces différences s’expliquent par les hasards de leur apparition mais n’ont aucune justification logique / théorique. On comprend mieux alors pourquoi le consensualisme n’a jamais triomphé, car l’admettre comme un principe supposait toute une construction théorique générale autour DU contrat.

     

    2° -  Le droit romain ignore LE contrat

     

    Il n’y a pas en DR de corpus de règles, susceptible de s’appliquer à toutes les situations contractuelles (un droit commun du C). En DR, on n’a que des C spéciaux, pas ou peu de principes généraux : en effet, selon sa nature, chaque contrat-type est assorti de règles qui lui sont propres et qui diffèrent d’un C à l’autre.

     

    Comparatif droit contemporain / droit romain

     

    droit contemporain : on part du principe, de la règle générale, pour aboutir à une construction théorique (corpus de règles), qui est censée régir toutes les situations pratiques (il y a une unité dans la réglementation) : droit DU contrat

     

    droit romain : on part d’une situation concrète et on crée une règle susceptible d’y répondre. A chaque situation contractuelle correspond une règle spécifique. D’où l’absence d’unité dans la réglementation : droit DES contrats.

     

    Cependant, il convient de nuancer un peu cette vision très empirique du DR des C. Car les jurisconsultes sont parvenus à dégager un certain nombre de règles générales (ie applicables à l’ensemble des C), ce que nous avons appelé la technique du C. L’effort de synthèse, d’abstraction, n’est donc pas complètement étranger au DR. Mais la construction reste inachevée. Le système jdq dans son ensemble – typologie des C [C spéciaux] et ébauche d’une technique du C – n’en est pas moins inestimable pour les juristes qui vont le redécouvrir 6 siècles plus tard. Le corpus iuris civilis redécouvert rassemble en effet une extraordinaire matière première. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’impact de cette découverte majeure, intellectuellement et juridiquement décisive. Il faudra qd même attendre l’œuvre de Domat (XVIIe ) puis Pothier (XVIIIe ) pour que le travail de synthèse ébauché par les romains trouve son parfait achèvement. Pour autant, ne minimisons pas le degré de perfectionnement technique du DR, qui a constitué un matériau de réflexion précieux pour les juristes médiévaux, modernes et contemporains, et qui demeure le socle des droits modernes occidentaux.

     


     

    CHAPITRE II     

    L’EVOLUTION HISTORIQUE DU DROIT DES CONTRATS

    Les vicissitudes du consensualisme après le droit romain

     

    Treize siècles (depuis la chute de l’Empire romain d’Occident jusqu’au Code civil) au cours desquels le consensualisme a connu maintes vicissitudes.

    Dans son dernier état, le dt des C était parvenu, à Rome, à une certaine perfection, malgré l’absence de théorie générale. La période tardive est marquée – entre autres – par une formidable extension du consensualisme.

    La domination des peuples barbares en Occident provoque par la suite un brusque recul de la civilisation, recul particulièrement sensible dans le domaine de la science juridique. Cela s’est traduit, en matière contractuelle, par un retour en arrière de plusieurs siècles, une conception exclusivement formaliste du C. Les traces de ce droit d’inspiration germanique subsistent longtemps. On les retrouve encore au XIIIe siècle (Section I).

    Puis le consensualisme renaît dans la pratique sous l’influence combinée du dt romain redécouvert et du dt canonique. L’apport des droits savants est à cet égard décisif (Section II).

    Enfin, l’époque moderne (XVIIe – XVIIIe ) retiendra notre attention, parce que c’est le temps d’une œuvre magistrale de synthèse et d’abstraction : naissance d’une théorie générale du C, qui favorise le triomphe du consensualisme (Section III).

    Au-delà du Code civil, l’évolution est caractérisée par la liberté contractuelle et l’autonomie de la volonté, contredites cependant par un dirigisme de plus en plus prégnant, qui tend à sacrifier le dt commun DU contrat à un nouveau dt DES contrats, une nouvelle typologie de C spéciaux marqués par un certain formalisme (Section IV).

     

     

    SECTION I - LE RECUL DU CONSENSUALISME AU COURS DU HAUT MOYEN AGE (VIe – XIIe)

    Haut-Moyen Age : époque franque (VIe – IXe ) et époque féodale (Xe – XIIe )

    Point commun de ces deux périodes : le retour à une conception formaliste du C, imposée par les usages germaniques qui s’attachent aux formes, aux rituels, aux symboles. Les anciens gallo-romains ont abandonné les C consensuels pour se rallier aux usages barbares.

    Pendant 7 siècles, les C sont soit réels (formés par la remise d’une chose), soit formalistes (accomplissement nécessaire d’un rite).

    Le déclin de la science du droit a fait oublier les acquis du dt romain.

     

    § 1 Contexte et sources du droit

     

    476 : chute de l’Empire romain d’Occident sous la pression des invasions germaniques. Il  passe sous la domination barbare.

     
    A – Contexte politique

     

    Morcellement de ce qui fut l’Empire en royaumes barbares. Coexistent alors sur le territoire de l’ancienne gaule romaine des peuples d’origines différentes (Wisigoths, Burgondes, Alamans, Francs)

    Grâce à Clovis [481-511] et ses successeurs, la Gaule passe au VIe sous la domination des francs saliens, qui ont entrepris de soumettre les peuples concurrents.

    Cette période « franque » (Ve – IXe) connaîtra 2 dynasties et 2 conceptions du pouvoir différentes :

     

    • 481-751 : Mérovingiens→ légitimité très personnelle (le roi est un chef de clan, légitimé par ses victoires militaires)

     → conception patrimoniale du pouvoir (le royaume est divisé à la mort du roi entre ses fils / il peut également l’aliéner comme bon lui semble)

     

    • 751-888 : avènement des Carolingiens avec Pépin le Bref en 751, qui usurpe le pouvoir et dont les descendants règnent jusqu’en 888. Ils donnent au pouvoir royal une dimension institutionnelle, une nouvelle légitimité grâce au sacre et au couronnement impérial (le roi carol. s’inspire du double modèle – chrétien et romain – pour gouverner)

    Principale figure de la dynastie : Charlemagne (768-814) qui relève la dignité impériale en l’an 800 (après avoir donné au royaume franc les dimensions d’un Empire). Il se pose en continuateur des empereurs romains, romanité qui l’inspire dans ses réformes, sa volonté d’unifier l’empire et son désir de le pacifier. Le IXe siècle est alors marqué par un renouveau intellectuel et institutionnel très influencé par le modèle romain. L’idée d’unité de l’Empire est alors au cœur des préoccupations politiques, mais la conception patrimoniale du pouvoir – héritée des mérovingiens – très ancrée dans les mentalités franques, ne permet pas de maintenir cette unité au-delà du règne de Louis le Pieux (814-840).

    S’ensuivent des luttes fratricides et des partages successoraux (partage de Verdun en 843 entre les fils de Louis le Pieux). Notre pays est ramené à des limites plus modestes et le pouvoir carolingien entre dans une phase de décadence.

    Charles le Chauve hérite de la partie occidentale de l’empire (Francia Occidentalis, futur royaume de France), qui va subir un morcellement politique et territorial sous l’impulsion de plusieurs facteurs, diluant progressivement la royauté et l’idée d’Etat dans la féodalité.

     

    Rappel des événements qui ont conduit à l’effacement d’un pouvoir royal centralisé et à l’atomisation de la puissance publique.

    • partage de l’Empire en 843 qui donne naissance à la Francia Occidentalis
    • transformation politique décisive : l’émancipation des comtes, principaux administrateurs locaux du roi carolingien sur une circonscription territoriale de base, le pagus ou comté. L’appropriation des fonctions comtales et des prérogatives de puissance publique jadis déléguées par le roi conduisent au morcellement politique → ces nouveaux puissants deviennent des seigneurs, qui exercent désormais en leur nom et de manière autonome tous les pouvoirs (militaire, judiciaire, fiscal).
    • la circonscription administrative de base devient elle même entité politique autonome (morcellement territorial) → se produit alors un phénomène de regroupement ou de morcellement de ces entités, devenant plus ou moins vastes : ce sont les seigneuries, à la tête desquelles un puissant (le seigneur) est omnipotent. Le régime féodal est en place : il dure du Xe au XIIIe siècle.

     

    La féodalité a fait éclater la puissance publique ; il n’y a plus d’Etat, plus de pouvoir central, mais une mosaïques d’entités territoriales politiquement indépendantes. La royauté s’est « dissoute » dans la féodalité (effacement mais pas disparition du pouvoir royal). Le roi, devenu seigneur parmi les seigneurs (sur l’Ile-de-France) conserve un pouvoir d’essence divine qui lui permettra, le moment venu, de s’imposer à nouveau comme principe unique d’autorité et de pouvoir. Après avoir soumis les grands féodaux, il reconquiert une à une les prérogatives de puissance publique, renouant avec l’idée de souveraineté et d’unité du royaume. A partir du XIIIe siècle, un Etat royal se substitue progressivement au régime féodal. La genèse de l’Etat moderne est en marche.

     

    Ce contexte politique très particulier n’est pas sans effet sur les sources du dt.

     
     
    B – Sources du droit

     

    a ) les lois barbares

    A l’époque franque, coexistent sur le territoire de la gaule des peuples d’origine et de culture très différentes (gallo-romains d’une part, peuples germaniques d’autre part). Pendant longtemps, soumis au principe de la personnalité des lois, chacun entend vivre selon son droit (dt romain pour les gallo-romains / dt germanique pour les barbares). Pour rendre le système effectif, les rois barbares font rédiger dès le VIe siècle 2 sortes de lois :

    • lois « romaines » des barbarescontenant un dt romain simplifié, vulgarisé, dénaturé, très largement inspiré du Code Théodosien (ex / loi romaine des Wisigoths ou « Bréviaire d’Alaric » ) → droit applicable aux sujets gallo-romains
    • lois barbarescontenant les coutumes des peuples germaniques, mises par écrit, mais également influencées par le dt romain – pour la loi « Gombette » (applicable aux burgondes) et le Code d’Euric (applicable aux wisigoths) – ou pur monument de dt germanique s’agissant de la loi salique (applicable aux francs saliens) → dt applicable aux sujets barbares

    Les lois barbares sont une source très secondaire pour le droit des contrats au même titre d’ailleurs que la législation royale.

     

    b ) la législation royale

    Il s’agit des capitulaires, qui connaissent une inflation sensible sous les règnes de Charlemagne et Louis le Pieux. Dans un système qui a évolué de la personnalité à la territorialité des lois, cette législation de portée générale a vocation à s’appliquer à tous les sujets du royaume. Elle contient surtout des réformes administratives (droit public) mais peu de droit privé. L’essentiel de nos connaissances sur le droit des contrats à cette époque nous vient des actes de la pratique.

     

    c ) les actes de la pratique

    Recueils de « formules »rassemblant des modèles d’actes à l’usage des praticiens (connus dès le VIIe siècle) ; ce sont des actes types où sont laissés en blanc le nom des parties et l’objet de l’opération. Source précieuse pour connaître la pratique du dt et donc le droit des contrats.

     

    d) Le règne universel de la coutume

    Autour de l’an Mil, il n’y a plus d’autorité centrale susceptible d’imposer une norme législative de portée générale. Le droit est alors fait de pratiques, d’usages immémoriaux qui s’imposent avec le temps sur un territoire donné. La norme – dit-on – est pratiquée « de toute ancienneté » au point « qu’il n’est mémoire du contraire ». Le droit est divers comme sont diverses les traditions, de sorte que la coutume change d’une région à l’autre, parfois même d’un village à l’autre. La norme coutumière est un usage d’application territoriale dont la force obligatoire résulte de l’ancienneté et de la croyance des intéressés en sa nécessité.

     

    Contenu de la coutume : droit des personnes, de la famille, régime des biens, mais peu de choses sur le droit des obligations.

     

    Au-delà des sources, le dt des obl° du Haut Moyen Age est également tributaire des échanges et donc du contexte économique.

     

    C – Contexte économique

     

    La crise éco et démographique se prolonge et s’aggrave (manque de main d’œuvre, diminution des productions agricoles et artisanales, dégradation des voies de communications, brigandage, insécurité liée aux guerres privées, dépeuplement des villes…)

    Climat peu propice aux échanges → économie rurale fermée, localisée, autarcique (on consomme sur place les produits de l’agriculture et de l’artisanat local)

    Cette économie de subsistance retentit sur la vie juridique. Les occasions de contrats sont rares, à cause de la raréfaction des échanges.

    Jusqu’au XIIe siècle (renaissance urbaine), l’économie est sclérosée et l’activité contractuelle limitée à qqs contrats formalistes.

     

    § 2 – Les contrats de l’époque franque


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