• Cours intégral - Pluralisme juridique - Rôle de l'Etat - conclusion

    2ème partie – Chapitre I

    Pluralisme juridique – Fin de la section I

     

    c – Le rôle de l’Etat

     

    Dans ce contexte, l’Etat est appelé à jouer un nouveau rôle de coordinateur, de conciliateur des différents ordres juridiques. Vanderlinden utilise le terme d’ « Etat-arbitre » ou « fédérateur ».

    L’ordre négocié s’y substituerait à l’ordre imposé (cf. Chap. II).

    Il ne s’agit donc pas d’exclure l’Etat de ce processus de différenciation juridique, mais de l’y associer.

    La question est de savoir comment.

    • Comment favoriser les procédures d’alliance entre les groupes minoritaires et la société globale ?

    • Quels seraient les critères de la représentativité à appliquer aux portes paroles de ces groupes ?

    Tel est le grand chantier du pluralisme juridique.

     

    Exemple concret de pluralisme juridique appliqué, où l’Etat pourrait jouer ce rôle de conciliateur.

    Il s’agit d’un domaine marginal dans ce « grand chantier » : celui du droit international privé, envisagé comme instrument de l’Etat conciliateur.

    Rappel

    Actuellement, pour les étrangers résidant en France, les questions de statut personnel (droit de la famille) peuvent être résolues :

    • soit par la loi personnelle qui permet d’appliquer un droit étranger dans le pays de résidence (pays d’accueil : France par exemple)

    • soit par la loi « de résidence », c’est à dire celle du pays d’accueil (loi française par exemple), encore appelée « loi du for ».

    Le DIP (droit international privé) de chaque pays fixe des règles de « conflit de loi » (règles permettant au juge de « choisir » la loi applicable au résidant de nationalité étrangère). Mais la jurisprudence dispose d’un large pouvoir d’appréciation et d’interprétation dans leur mise en œuvre.

    Conséquence : aujourd’hui, la loi « d’origine » (le droit étranger) est de plus en plus souvent écartée au profit de la loi de résidence (pour des motifs très variables). De plus, cette jurisprudence n’est pas homogène, pas unifiée. Les parties impliquées dans un tel conflit de lois se trouvent donc dans une grande insécurité juridique (elles ignorent quelle sera la loi applicable à leur différend).

     

    Cette situation d’insécurité est liée à une mise en œuvre défaillante du pluralisme juridique.

     

    Pour y remédier, les auteurs proposent une solution (directement inspirée des théories du pluralisme juridique) : l’option de droit1.

    Il s’agit, pour les étrangers résidant dans les pays européens de choisir la loi applicable à leur différend (loi d’origine, étrangère ou loi du pays d’accueil, loi de résidence).

    La solution a bien sûr ses détracteurs et ses partisans.

    Mais elle a à son actif deux avantages :

    • offrir des solutions adaptées aux circonstances et aux parties (la femme en particulier lorsque le droit étranger est discriminatoire, même si elle peut parfois trouver certains avantages à se voir appliquer sa loi d’origine)

    • elle favoriserait une harmonie nationale et internationale, en dépassant l’opposition radicale entre loi étrangère et loi de résidence (loi française par exemple)

    Si l’Etat le permettait (autorisait « l’option de droit » en DIP), il ouvrirait la voie :

    • au principe de l’ordre négocié en DIP (possible application de la « loi choisie » par les parties au détriment de la « loi imposée »)

    • à un système de complémentarité entre les deux ordres juridiques (ce qui pourrait contribuer à gommer les tensions entre la communauté concernée et la société globale)

    L’auteur2 conclut ainsi, s’agissant plus particulièrement du statut de la femme musulmane en situation d’immigration :

     

    « Notre conclusion est que la femme musulmane en situation d’immigration , d’une part, doit pouvoir opter pour l’organisation de sa vie de famille dans le respect de ses propres traditions juridiques, mais que, d’autre part, la protection du droit du pays de sa résidence habituelle doit lui être garantie lorsqu’elle l’invoque (…)

    La solution que nous suggérons chercherait à la fois à multiplier les applications du droit du for (loi de la résidence) et à organiser une liberté ordonnée pour la femme musulmane (l’option de droit). L’entreprise n’est certes pas aisée dans la mesure où cette solution cherche à satisfaire deux exigences : d’une part l’application du droit du for (français par ex) dans le respect de nos engagements internationaux en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales et, d’autre part, une réelle volonté d’assurer à chaque musulman – homme ou femme – d’origine immigrée le droit à la singularité dans le domaine privé. Cette alternative contient des possibilités réelles pour ces communautés d’organiser en Europe, sur le plan du droit, une vie conjugale harmonieuse, qui soit suffisamment respectueuse de sa liberté d’appartenance à une civilisation ancrée dans l’islam et ses valeurs profondes. Si tel est leur désir. »

     

    Conclusion

    Pour les anthropologues, les théories du pluralisme juridique possèdent une indéniable valeur opératoire, parce qu’elles permettent de mieux comprendre ce qu’est le droit et comment il fonctionne.

    Pour les juristes occidentaux, elles sont encore largement méprisées, considérées comme une utopie.

    Pourtant l’utopie s’est déjà réalisée : elle nous vient de très loin, de la République romaine. Cicéron l’évoque dans un texte magnifique qui pourrait fort bien illustrer « l’unité dans la diversité ».

     

    « Nous considérons comme patrie celle où nous sommes nés aussi bien que celle qui nous a accueillis. Mais il est nécessaire que celle-là (celle qui nous a accueillis) l’emporte dans notre affection par laquelle le nom de « République » est le bien de la cité entière. C’est pour elle que nous devons mourir, c’est à elle qu’il faut nous donner tout entiers (…). Mais la patrie qui nous a enfantés ne nous est guère moins douce que celle qui nous a accueillis. C’est pourquoi jamais je n’en viendrai à lui dénier absolument le nom de ma patrie, encore que l’une soit plus grande et que l’autre soit renfermée dans la première – étant bien entendu que tout homme, quel que soit l’endroit où il est né, participe à la cité et la conçoit comme unique. (Cicéron, Les lois, II, 5)

     

    Enfin, de nombreuses sociétés traditionnelles sont aujourd’hui régies – avec plus ou moins de succès il est vrai – par le pluralisme juridique.

    En Afrique Noire, où coexistent des communautés profondément différentes, il est admis et pratiqué. Nous allons voir comment, concrètement, dans une section II.

     

    1 M.-C. Foblets, « La statut personnel musulman devant les tribunaux en Europe : une reconnaissance conditionnelle », L'étranger et le droit de la famille – Pluralité ethnique, pluralisme juridique, sous la direction de Ph. KAHN, Mission de recherche « Droit et justice », 2001, p. 48-49

    2 M.-C. Foblets, ibid., p. 61-62


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