• Cours intégral - Fragments - 2ème partie, chap. II (Les phases du procès criminel)

    - Les effets de la question

    <o:p> </o:p>-         En cas d’aveu (confession du crime) : l’aveu complète la preuve (les indices graves) recueillie contre l’accusé et la condamnation peut être prononcée.

    -         Au cas de dénégation (lorsque l’accusé résiste aux tourments en « gardant bonne bouche », ne subsistent contre lui que les indices qui ont motivé le recours à la question, mais qui ne constituent pas une preuve certaine, et qui ne peuvent donc  fonder une condamnation définitive.

          ® conséquence : l’accusé doit être absous, aucune peine ne peut être prononcée : la question purge les indices.<o:p></o:p>

    Application rigoureuse de la théorie des preuves légales : pas de preuve complète, pas de condamnation.

    <o:p> </o:p>

    Remarque : tous les accusés soumis à la question n’avouaient pas systématiquement, malgré la cruauté des tourments. Il existait en effet des moyens (illicites) permettant de s’endurcir, de « stupéfier les nerfs » afin de résister aux tourments.

    <o:p> </o:p>Ex / ils pouvaient se procurer en prison diverses substances analgésiques :

    -         drogues (opium ou produits opiacés, comme le laudanum)

    -         produits plus « fantaisistes » cités par les criminalistes : savon, encens, poudre de crâne humain, poudre à canon, lie de vin…

    Le problème des drogues est d’ailleurs évoqué dans les traités de droit criminel : « l’accusé doit être appliqué à la question le jour que la sentence [jugement interlocutoire ordonnant le recours à la question] lui aura été prononcée de crainte qu’il n’ait le temps de se précautionner contre les douleurs de la question, par des remèdes qui se trouvent propres à cela. » (Cl. Duplessis, Traité des matières criminelles, 1728)

    <o:p> </o:p>

    § 2 -  Evolution des voies de recours<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Dans un premier temps, la question de l’appel criminel est résolue différemment dans les pays de coutume (nord) et de droit écrit (sud).

    <o:p> </o:p>

    -         Dans les pays de coutume, on continue à pratiquer l’appel pour faux jugement (sorte de prise à partie du juge, fondée sur un reproche de partialité). Appel qui donne lieu à un nouveau procès devant le Parlement, entre la partie appelante et le juge de première instance. (¹ de l’appel romano-canonique puisque l’appelant n’attaque pas la décision, mais le juge qui l’a rendue) ® procédure très utilisée contre les juridictions seigneuriales pour mieux les contrôler, les soumettre, les intégrer à l’appareil judiciaire.

    -         En même temps ( XIIIe), dans les pays de droit écrit (midi romanisé), on pratique l’appel romain, formé contre la décision du juge.

    Problème : en droit romain l’appel criminel est strictement réglementé, c’est à dire exclu lorsque la condamnation repose sur des preuves certaines (flagrant délit, témoignages, aveu), car il est alors considéré comme dilatoire (aucune contestation de la décision n’est dès lors possible). Or, d’après la théorie des preuves légales, lorsqu’elle est appliquée dans toute sa rigueur, il ne peut y avoir de condamnation sans preuve certaine. Aussi, tel qu’il est réglementé par le droit romain, l’appel n’est-il pas compatible avec cette conception objective de la preuve. Il a donc fallu adapter la règle romaine de l’appel dilatoire, en la contournant. C’est ce que fit la jurisprudence médiévale (cf. l’adaptation à la société médiévale – et non la transposition – du droit romain redécouvert).

    Les juges royaux finissent donc par accepter le principe d’un appel formé contre les sentences prononçant une condamnation sur la base de preuves certaines. Au XVIe siècle, l’appel romain est en vigueur dans tout le royaume. L’ordonnance de 1670 (cf. infra) institue même l’appel automatique au-delà d’un certain seuil de gravité de la peine (disposition qui s’explique par la volonté politique de placer sous le contrôle et l’influence modératrice des Parlements, toute l’activité des juridictions inférieures, en matière criminelle).

    <o:p> </o:p>

    Alors que le régime des preuves et que les voies de recours se transforment sous l’impulsion du dt romain adapté par la doctrine et récupéré par la pratique, l’ensemble de la procédure évolue vers le modèle inquisitoire. Cette évolution conduit en pratique à distinguer 2 voies : l’ordinaire et l’extraordinaire.

    <o:p> </o:p>

    § 3 -  Procédure ordinaire et extraordinaire<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, on voit réapparaître la vieille distinction romaine entre l’ordinaire et l’extraordinaire :

    <o:p> </o:p>Rappel :

    -         procédure ordinaire : en vigueur devant les jurys républicains pour réprimer les délits publics de l’ordo judiciorum publicorum – incriminés par les lois républicaines – champ ordinaire du dt pénal public ® procédure de type accusatoire

    -         procédure extraordinaire : cognitio extra ordinem  en vigueur devant les juridictions impériales pour réprimer les délits publics incriminés par les lois impériales, relevant du champ extraordinaire du dt pénal public ® procédure de type inquisitoire permettant au juge de procéder d’office contre les auteurs sans attendre une accusation de la victime.

    <o:p> </o:p>1° -  La voie ordinaire

    <o:p> </o:p>Au XIIIe siècle, la voie ordinaire de type accusatoire reprend les grands traits de la procédure romaine de l’ordo : accusation formelle (faite par écrit), serment de calomnie prêté par l’accusateur, avec rétorsion de la peine à l’encontre du calomniateur (qui invente de fausses charges), publicité, oralité des débats, principe de la représentation par un avocat.

     C’est une procédure très proche de la procédure civile : les parties produisent leurs preuves à l’audience publiquement, les avocats plaident et la sentence est rendue. Tout est public et contradictoire.

    Champ d’application de cette procédure : le « petit criminel », infractions mineures n’emportant pas de peines afflictives.

    Pas de recours à la question (seulement en cas de crime capital, donc dans le cadre de la voie extraordinaire).

    <o:p> </o:p>

    -  La voie extraordinaire

    <o:p> </o:p>Elle est réservée à la répression des crimes les plus graves, qui sont censés troubler l’ordre public. Dans ce cas, si la victime saisit la justice, elle n’agit plus comme accusateur mais comme plaignant. Sa plainte ne sert qu’à mettre l’action publique en mouvement. Ensuite, la conduite du procès lui échappe : c’est le juge qui est maître du procès. Si la victime ne se manifeste pas , le juge lui-même – ou par l’intermédiaire du Ministère public – peut agir d’office.

    On est bien dans un schéma procédural de type inquisitoire, qui présente trois traits distinctifs par rapport à la voie ordinaire :

    -         le recours à la question (crimes capitaux)

    -         l’absence de représentation (ni avocat, ni procureur pour l’assister)

    -         le secret ( notamment dans la phase  d’instruction)

    <o:p> </o:p>

    Les caractères des deux procédures se fixent progressivement aux XIVe  et XVe siècles dans la pratique judiciaire, avant d’être définitivement consacrés par l’ordonnance criminelle de 1670.

    <o:p> </o:p>

    SECTION II   LA PROCÉDURE

    D’ APRÈS L’ORDONNANCE CRIMINELLE DE 1670

    <o:p> </o:p><o:p>
    </o:p>

    La procédure médiévale, issue de la pratique judiciaire, est partiellement reprise dans deux ordonnances qui constituent les précédents de la grande ordonnance de 1670.

    -         ordo de Blois (1498)

    -         ordo de Villers-Cotterêts (1539)

    <o:p> </o:p>

    L’ordo de 1670, loin de les remettre en cause, les confirme et les complète.

    Ce texte est un monument de l’histoire de la justice :

    -         parce qu’il fixe le droit procédural en mat. criminelle jusqu’à la révolution

    -         parce qu’il inspire le Code d’instruction criminelle de 1808 qui y puisera largement (à l’instar des autres codifications napoléoniennes, ce code est une œuvre de transaction, de compromis, entre l’ancien droit et le droit révolutionnaire)

    <o:p> </o:p>

    Il n’est pas l’œuvre d’un seul homme, mais le Conseiller d’Etat PUSSORT – oncle de Colbert – en est le « père » : il a rédigé le mémoire qui servit de base à l’élaboration du projet d’ordonnance.

    Quant au contenu, l’ordo décompose le procès criminel en 5 phases successives :

    <o:p> </o:p>

    § 1Mise en mouvement de l’action publique

    <o:p> </o:p>Elle peut résulter :

    <o:p> </o:p>1° -  D’une dénonciation<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>Acte par lequel un particulier informe le procureur du roi (min. public) qu’un crime a été commis.

    <o:p> </o:p>

    2° -  D’une plainte<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>Elle peut émaner :

    -         soit de la partie privée (la victime ou ses proches)

    -         soit de la partie publique (le proc. du roi)

    <o:p> </o:p>Elle consiste à informer le juge du crime, afin d’en poursuivre la réparation.

    La partie privée peut porter plainte à raison de n’importe quel crime / la partie publique ne peut porter plainte qu’à raison des crimes majeurs, passibles de peines afflictives.

    Distinction très importante à faire :

    <o:p> </o:p>-         crimes majeurs : le Min. public a l’obligation de poursuivre « nonobstant toutes transactions faites par les parties ». Le modèle conciliatoire n’ayant jamais disparu, malgré les progrès du modèle répressif, on continue à transiger en matière pénale, et l’ordonnance en prend acte. ® la transaction éventuelle est alors sans effet sur les poursuites, elle n’interrompt pas l’action publique.

    -         crimes mineurs : les transactions sont valables et interrompent l’action publique. Dans ce cas, on estime que l’ordre public n’est pas profondément troublé et l’on abandonne au plaignant l’initiative des poursuites (il peut choisir de poursuivre le délit devant la justice publique – la voie judiciaire – mais s’il opte pour la conciliation (transaction), on ne lui imposera pas le modèle répressif (la voie des tribunaux).

    <o:p> 
    </o:p>

    3° -  De la poursuite d’office par le juge<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>L’institution du min. public n’a pas privé les juges du siège du dt de poursuivre d’office. En cas de négligence, défaillance du proc. du roi, il revient au juge du siège d’exercer l’action publique.

    <o:p> </o:p>

    § 2L’instruction préparatoire

    <o:p> </o:p>

    Elle est confiée à un juge du siège (juge « instructeur ») et se décompose elle-même en plusieurs phases :

    <o:p> </o:p>

    1 – recueillir les procès verbaux et les rapports relatifs à l’affaire (ceux de la maréchaussée, des médecins  et chirurgiens en cas de dommages corporels) pour établir le « corps du délit » (son existence matérielle)

    <o:p> </o:p>

    2 – l’information : audition des témoins par le juge instructeur (entendus séparément et secrètement, dépositions consignées par un greffier sur le cahier d’information)

    Si les témoignages sont insuffisants, le juge peut recourir aux monitoires.

    <o:p> </o:p>

    3 -  Les monitoires à fin de révélations : lettres que le juge laïc obtient de l’évêque, qui invitent les fidèles à révéler ce qu’ils savent du crime, sous peine d’excommunication contre ceux qui garderaient le silence. Elles sont publiées, placardées sur les portes des églises et sur les places publiques.

    <o:p> </o:p>

    4 -  les décrets : ordonnance rendue par le juge instructeur

    -         soit pour ordonner la mise en détention, dans les cas les plus graves ( décret de prise de corps)

    -         soit pour convoquer l’accusé devant le juge instructeur afin de procéder à l’interrogatoire (décret d’assigné pour être ouï)

    <o:p> </o:p>

    5 -  L’interrogatoire de l’accusé<o:p></o:p>

    Trois règles s’imposent au juge dans la conduite de l’interrogatoire :

    -         l’accusé doit prêter serment de dire vérité

    -         l’accusé doit répondre seul, sans l’assistance d’un conseil

    -         le juge ne doit user d’aucune ruse, d’aucune manipulation, d’aucune promesse fallacieuse pour provoquer la manifestation de la vérité

    <o:p> </o:p>

    L’interrogatoire terminé et signé, le juge choisit la voie procédurale à suivre :

    -         la voie ordinaire pour les infractions mineures, lorsque l’instruction a révélé des charges insuffisantes (la procédure suivie dans ce cas est orale, publique, contradictoire ce qui suppose l’assistance d’un avocat).

    -         La voie extraordinaire pour les crimes (infractions graves) si l’instruction a révélé des charges suffisantes (la procédure est ici écrite, secrète, sans représentation). Dans ce cas, l’instruction préparatoire doit être complétée par de nouvelles investigations, dans le cadre de l’instruction définitive.

    <o:p> </o:p>

    § 3 -  L’instruction définitive<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L’instruction définitive se décompose en deux temps :

    <o:p> </o:p>

    1° -  Le récolement<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Il s’agit de la réitération (toujours secrète) devant le juge instructeur des dépositions des témoins. Le juge les convoque, lit leur première déposition et leur demande s’ils veulent la modifier.

    C’est une procédure écrite qui a pour effet de fixer définitivement le témoignage.

    Conséquence de cette « immobilisation » du témoignage : l’ordonnance prévoit d’appliquer les peines du faux témoignage au témoin qui se rétracterait sur une allégation importante après le récolement.

    <o:p> </o:p>

    2° - La confrontation<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L’accusé est confronté aux témoins qui ont déposé contre lui. Cette confrontation permet :

    -         aux témoins de reconnaître l’accusé et de confirmer son identité

    -         à l’accusé de connaître le contenu des charges qui pèsent contre lui (dont il était jusque là tenu dans l’ignorance), et de récuser les éventuels témoins reprochables, les juges décidant ensuite de la recevabilité des reproches lors de l’examen du procès au fond.

    <o:p> </o:p>

    Après le récolement et la confrontation, le procès est instruit.

    Les pièces sont transmises à la partie publique (le ministère public / procureur du roi) qui doit donner ses conclusions définitives :

    -         conclusions dans le sens d’un jugement définitif : d’absolution (équivalent de notre acquittement) ou de condamnation

    -         conclusions dans le sens d’un jugement interlocutoire ordonnant à l’accusé de faire la preuve d’un élément de défense présenté lors de l’interrogatoire, ou ordonnant que l’accusé soit soumis à la question préparatoire.

    Ces conclusions sont remises cachetées au greffe avec l’ensemble des pièces. Le dossier est alors transmis à un juge rapporteur qui doit en faire la synthèse devant les magistrats du siège (en pratique le rapport était fait par le juge instructeur en raison de sa parfaite connaissance du dossier).

    Après le rapport, le tribunal prend connaissance des conclusions du ministère public.

    Enfin, l’accusé comparaît pour son dernier interrogatoire devant le tribunal assemblé.

    Pour subir cet interrogatoire, l’accusé est placé en contrebas du tribunal sur un petit tabouret de bois : la « sellette ». C’est là qu’il va présenter seul sa défense, faisant valoir d’éventuels faits justificatifs, pour être ensuite admis à les prouver en obtenant du tribunal un jugement interlocutoire à cette fin.

    <o:p> </o:p>

    Question : peut-il vraiment présenter une défense utile ?<o:p></o:p>

    -         il est sur la sellette dans une position inconfortable, humiliante, dominé physiquement par ses juges qui le rappellent sans cesse à l’ordre s’il se lève (réflexe normal de celui qui essaie de faire valoir ses arguments…)

    -         il est seul, sans avocat (il n’en a d’ailleurs jamais eu, y compris pendant la phase d’instruction).

    <o:p> </o:p>

    Pourquoi cette exclusion des avocats au grand criminel ?

    Réponse dans les débats qui ont précédé l’élaboration de l’ordonnance de 1670. Elle est officiellement motivée par un souci d’équité :

    - seuls les puissants, les riches auront accès à une défense de qualité (coûteuse) au détriment des plus démunis.

    - on pense également que la conscience professionnelle des magistrats dans la conduite de l’interrogatoire compense l’exclusion des défenseurs.

    - Il y a aussi (surtout) une raison officieuse : la crainte de voir d’habiles avocats démonter tout le travail de l’instruction, en mettant l’accent sur la faiblesse des preuves, en multipliant les reproches à l’encontre des témoins. Or, les preuves décisives n’abondaient pas, et il fallait assurer un nombre de sentences convenables pour les besoins de la répression et de l’exemplarité.

    <o:p> </o:p>

    L’interrogatoire terminé, un jugement peut être rendu.

    <o:p> </o:p>

    § 4 -  Les jugements<o:p></o:p>

    <o:p>
    </o:p>

    Le jugement rendu après l’interrogatoire de l’accusé n'est pas forcément un jugement définitif de condamnation ou d'absolution ; ce peut être un jugement interlocutoire.

    <o:p> </o:p>

    A/ Les jugements interlocutoires<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    1)      les jugements qui autorisent l'accusé à faire la preuve des faits justificatifs<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Il faut entendre par fait justificatif tout fait de nature à justifier l'acte délictueux et donc susceptible d'atténuer ou de supprimer la responsabilité de l'auteur.

    Ex /  Il existe des justifications objectives : la légitime défense, l'état de nécessité, la provocation par adultère

    Ex / des justifications subjectives : la démence, l’âge, l'ivresse, le somnambulisme, la surdimutité... (cf. les facteurs d’atténuation et d’aggravation, pris en compte par le juge dans le cadre de l’arbitrage des peines)

    <o:p> </o:p>

    2)      les jugements ordonnant de soumettre l'accusé à la question<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Est-ce que l'ordonnance de 1670 a fait évoluer le droit sur ce thème ?

    <o:p> </o:p>

    -  S'agissant des conditions de recours rien de nouveau : l'ordonnance se contente de mettre en forme la pratique et de confirmer que la question ne doit s'appliquer que s’il existe des indices considérables, pour les crimes capitaux. (cf. Textes originaux, ordonnance de 1670, Titre XIX, art 1er )

    <o:p> </o:p>

    - Elle distingue entre question préparatoire et question préalable. La question préparatoire est celle qui est destinée à obtenir l'aveu de l'accusé. La question préalable suppose qu'il y ait déjà eu condamnation, le procès est terminé, il s'agit ici d'obtenir du condamné - avant son exécution - des renseignements sur ses complices. C'est la nouveauté de l'ordonnance. (Tit. XIX, art. 3)

    <o:p> </o:p>

    - Rien de nouveau non plus sur les modalités de la question et c'est une grande lacune de l'ordonnance. PUSSORT qui est le père de l'ordonnance s'est toujours opposé à une telle réglementation au motif que des descriptions de cette sorte seraient indécentes dans un texte législatif. C’est une lacune car l’application de la question par les juridictions inférieures donnait lieu à de graves abus : nombreux sont ceux qui ont conservé des séquelles, des lésions durables ou définitives.

    <o:p> </o:p>

    Ex / En 1695, le premier président de Harlay passant à Saint-Pierre-le-Moutier, où la torture se donnait par extension, apprit qu’un homme était mort et qu’une femme avait eu le poignet arraché à cause de l’énormité des poids utilisés ; après enquête, ce procédé fut interdit, et le Parlement de paris, par arrêt de 1697, n’admit plus dans son ressort que la question par l’eau ou par les brodequins, cette dernière étant jugée moins dangereuse par les médecins.

    <o:p> </o:p>

    → exemple de l’action modératrice des parlements : il intervient ici par voie d’arrêt de règlement (disposition de portée générale – acte « normatif » et non décision de justice – limitée au ressort du Parlement qui en a l’initiative et qui vise à combler les lacunes / silences de la loi. La disposition est obligatoire dans le ressort du parlement et tant que la loi n’est pas intervenue dans le domaine réglementé.)

    <o:p> 
    </o:p>

    -  La première grande innovation de l'ordonnance est l'appel obligatoire devant le Parlement des jugements interlocutoires ordonnant le recours à la question. A cause de tous les abus (dans l’appréciation des conditions ou dans les modalités), la royauté veut mettre en place une politique de contrôle des juridictions inférieures par les Parlements. À partir de 1670 cette action modératrice s'exerce systématiquement, c'est une des causes de la disparition progressive de la torture au XVIIIème siècle. Le parlement va infirmer de plus en plus souvent les jugements interlocutoires rendus par les juridictions inférieures et ordonnant le recours à la question (ce qui conduit progressivement à la disparition de la question).

    <o:p> </o:p>

    - La seconde grande innovation est la question avec réserve des preuves, mais le système prévu par l’ordonnance présente des faiblesses.

    La question avec réserve des preuves,<o:p></o:p>

    les faiblesses du système<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>Rappel de l’évolution

    <o:p> </o:p>Jusqu’au XVIe siècle, la question purge les indices : faute d’aveu – et donc de preuve complète – les indices « considérables » ayant motivé le recours à la question (cf. les conditions de la question) sont effacés, purgés. Les présomptions résultant des indices disparaissent : l’accusé peut être absous (acquitté). Le juge ne peut pas les apprécier pour se fonder une intime conviction (système objectif et non subjectif).

    A partir du XVIe siècle, on commence à pratiquer la question avec réserve des preuves : faute d’aveu, les indices sont « réservés » (entendez : conservés pour fonder une condamnation), et sur la base de cette « demi-preuve » (il ne s’agit que de présomptions au regard de la théorie des preuves légales), on condamne à une peine mitigée (adoucie) → cf. schéma[1].

    L’ordonnance de 1670 légalise cette pratique : voyez le titre 19, art. 2[2].

    <o:p> </o:p>Faiblesses du système

    <o:p> </o:p>On compense l’insuffisance de la preuve par la mitigation de la peine. C’est la force probante qui détermine l’intensité de la peine et donc le degré de responsabilité. Or, si l’on peut concevoir un arbitrage de la peine en fonction du degré de responsabilité, il faut que celui-ci résulte de l’appréciation des faits (évaluation des paramètres objectifs ou subjectifs de l’infraction[3] , facteurs qui tendent à atténuer ou à effacer toute responsabilité : ex/ démence, âge, sexe, légitime défense…) et non des caractères de la preuve.

    Si l’accusé est reconnu coupable (hypothèse d’une responsabilité totale, sans élément d’atténuation), que cette conviction résulte d’un aveu ou de présomptions graves (les indicia ad torturam), pourquoi ne pas appliquer la même peine, c’est à dire la mort ?

    Le raisonnement est défaillant, mais il existe une explication à cette indigence.

    <o:p> </o:p>La question avec réserve des preuves s’inscrit dans un contexte particulier : elle correspond à une phase transitoire de l’évolution du régime des preuves. On est en train de passer du système des preuves légales à celui de l’intime conviction. Car c’est bien la conviction du juge qui se substitue progressivement à l’exigence d’une preuve complète, lorsque des indices « considérables » – librement appréciés par le juge – suffisent à fonder une condamnation ; l’élément subjectif s’immisce dans un système probatoire jusque là dominé par l’objectivité (la preuve complète ou parfaite répond à une définition précise et objective[4]).

    <o:p> </o:p>Mais dans le système transitoire de la question avec réserve des preuves, on veut essayer de concilier ce qui ne l’est pas : preuve légale (objective) et intime conviction (subjective). Ainsi s’expliquent les incohérences du raisonnement (combinaison de deux systèmes incompatibles).

    <o:p> </o:p>En effet,:<o:p>
    </o:p>

    soit on conserve la théorie des preuves légales dans toute sa rigueur, ce qui suppose :

    -         le recours à la question (pour obtenir un aveu)

    -         l’application de la peine prévue si la culpabilité est reconnue (et qu’il n’existe par ailleurs aucun facteur d’atténuation de responsabilité) : la mort

    <o:p> </o:p>

    soit on renonce à la preuve certaine au profit de l’intime conviction, ce qui suppose :

    -         l’abandon de la question, car si l’on peut condamner sur la base d’indices « considérables » emportant la conviction du juge, le recours à la question devient inutile car l’aveu n’est plus nécessaire.

    -         L’application de la peine prévue (la mort), si la culpabilité est reconnue sur la base des seuls indices : la sévérité de la peine ne doit pas dépendre de la nature de la preuve, dès lors que la culpabilité est reconnue.

    <o:p> </o:p>

    En somme, l’incohérence du système dit « de réserve des preuves » résulte à la fois :

    -         de la survivance de la question

    -         de la mitigation de la peine en cas de résistance aux tourments, donc de preuve incomplète (faute d’aveu)

    <o:p> </o:p>

    Cette construction qui n’est juridiquement pas viable, va d’ailleurs tomber en désuétude au cours du XVIIIe siècle, alors que disparaît en pratique le recours à la question.

    La disparition de facto  (parce qu’inscrite nulle part) de la question s’explique donc par :

    <o:p> </o:p>1) le contrôle – et l’influence modératrice – des parlements sur les juridictions inférieures, par le biais de l’appel systématique des jugements interlocutoires ordonnant le recours à la question[5] (le Parlement infirme de plus en plus souvent ces jugements, et condamne le recours à la question)

    2) l’érosion progressive du système des preuves légales au profit de l’intime conviction du juge. Si ce dernier peut apprécier les indices pour fonder une condamnation : plus besoin d’aveu, donc plus besoin de question.

    <o:p> </o:p>

    B/  Les jugements définitifs <o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce  sont des jugements d'absolution ou de condamnation.

    <o:p> </o:p>

    Il existe deux types de jugements d'absolution :

    -         la décharge d’accusation : absolution complète qui emporte la condamnation du plaignant aux dépens et à des dommages et intérêts en faveur de l'accusé

    -         le renvoi hors de cour qui laisse planer un doute sur l'innocence de l'accusé et ne permet pas de condamner le plaignant aux dépens ni DI (sorte d’acquittement au bénéfice du doute)

    <o:p> </o:p>

    Sur les jugements de condamnation il faut simplement préciser qu’ils ne sont pas motivés. On y retrouve souvent l'expression « condamné pour les cas résultant du procès », sans autre explication. Les Parlements vont exiger par la suite des juridictions inférieures qu’elles précisent au moins la nature du crime pour lequel la condamnation est prononcée. L'ordonnance ne dit rien sur ce point.

    Louis XVI tentera de corriger cette lacune en 1788, par une déclaration royale, exigeant que les jugements et arrêts en matière criminelle soient motivés (il est un peu tard, trois ans après, l’organisation judiciaire et la procédure sont entièrement reconstruites sur des bases nouvelles)

    <o:p> </o:p>

    § 5 -  Les voies de recours<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L'ordonnance institue l'appel obligatoire contre toute sentence portant une condamnation à une peine lourde : sont précisément concernées les peines corporelles, de galère, de bannissement perpétuel et d’amende honorable (l’accusé en chemise doit demander pardon « à Dieu, au Roi, à la Justice » devant la maison de sa victime ou sur le parvis de l’église en tenant une torche de cire dont le poids est proportionnel à la gravité de sa faute).

    <o:p> </o:p>Dans tous ces cas, la condamnation doit être confirmée par le Parlement, que le condamné ait fait appel ou non[6].

    <o:p> </o:p>Comme pour les jugements interlocutoires de question, il s’agissait de placer toute l'activité répressive des juridictions inférieures sous le contrôle et l'influence modératrice des Parlements. <o:p></o:p>

    <o:p> 
     </o:p>

    CONCLUSION<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Toutes les transformations procédurales qui sont à l'œuvre depuis le XIIème siècle vont de pair avec la lutte constante du pouvoir contre les modes de règlement privé des litiges et notamment les transactions pénales. Le modèle répressif exige de l'État qu'il prenne en charge tout l'ordre public ; la justice royale doit se donner les moyens de réprimer sur un mode public l’ensemble de la criminalité, une exigence résumée par l’adage « tout délinquant offense la chose publique », ce qui signifie que tout délinquant mérite une punition publique alors même qu'il aurait transigé avec sa victime. L'indemnisation apaise la victime mais ne satisfait pas la société.

    C’est la raison pour laquelle la royauté a toujours lutté contre les transactions pénales, en particulier lorsqu’elles concernent des crimes graves comme l’homicide.

    <o:p> </o:p>→ Exemples : abrogation de la coutume de Tournai qui autorisait les habitants à conclure des pactes de paix en cas d'homicide. Louis IX y voyait là une mauvaise coutume, et prend l'habitude de façon assez régulière de vérifier les coutumes du Royaume et de les abroger lorsqu'elles sont contraires aux bonnes mœurs et à la justice. Idem pour la coutume de Gascogne qui permettait au meurtrier d’échapper à toute peine publique en versant à la famille une composition de 300 sous.

    <o:p> </o:p>Rappelons également que l’ordonnance de 1670 réitère fermement l’interdiction de transiger en cas de crime majeur ; dans ce cas, la transaction n’interrompt pas l’action publique. Elle tolère en revanche les transactions en cas de crimes mineurs (la transaction interrompt l’action publique, laissant à la partie privée l’initiative des poursuites).

    Néanmoins on va se heurter à des résistances plus ou moins durables : traces de transactions pénales en plein Paris au XVIIème siècle. Sous le règne de Louis XIV elles tendent à disparaître, ce qui s’explique par une meilleure organisation de la Police, qui appréhende plus efficacement les délinquants. On en retrouve sous Louis XV en Auvergne et dans le Languedoc : on transige par acte notarié sur des crimes mineurs – injures, violences sans gravité – et plus rarement sur des homicides. Il peut paraître curieux que, malgré l’interdiction prévue par l’ordonnance, les notaires n’hésitent pas à dresser acte de ces transactions, lorsqu’elles portent sur des homicides (c’est par le biais des registres notariés que l’on sait que ces pratiques se sont perpétuées).

    <o:p> </o:p>Toujours en lutte contre ces modes privés de règlement des conflits l’Etat – la justice du roi – entend assumer sa mission : la répression. Le modèle conciliatoire, à finalité indemnitaire, doit céder la place au modèle répressif qui exige l’application de peines publiques à la fois répressives et dissuasives.

    <o:p> </o:p>→ cf. Chapitre 3

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>



    [1] Dossier « schémas 2ème partie », sous-dossier « chap. 2 », sous-dossier « Question avec ou sans réserve des preuves », fichier « Question avec réserve des preuves »<o:p></o:p>

    [2] Dossier « textes originaux », sous-dossier « ordonnance de 1670 – question », fichier « titre 19, art. 1 à 7 »<o:p></o:p>

    [3] Cf. infra. Chap. 3 (La politique pénale), section 3 (Les pouvoirs du juge dans le choix de la peine).<o:p></o:p>

    [4] preuve complète = 1aveu + des indices considérables<o:p></o:p>

                                                           ou<o:p></o:p>

                                      les témoignages concordants de 2 témoins idoines<o:p></o:p>

    [5] Cf. Ordonnance de 1670, tit. 19, art. 7 (références en note 2)

    [6] Titre XXVI, art. VI : « Si la sentence rendue par le juge des lieux porte condamnation de peine corporelle, de galères, de bannissement à perpétuité, ou d’amende honorable, soit qu’il y ait appel ou non, l’accusé et son procès seront envoyés ensemble et sûrement en nos cours ».


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