• Cours intégral - Fragments - 2ème partie, Chap. I (Les acteurs de la représentation)

    Abréviations

     Dt  droit

    J°  juridiction

    M.A.  Moyen Age

     

     

      

    § 2 – Les acteurs de la représentation

     A partir du XIIIe siècle, les parties peuvent être assistées d’un procureur et d’un avocat :

    -         le procureur se charge de rédiger les actes de procédure et de suivre le procès pour le compte des parties lorsque la procédure est écrite

    -         l’avocat prend la parole à l’audience lorsque la procédure est orale

     Au XIVe siècle, certains de ces auxiliaires de justice se spécialisent dans la défense des droits du roi devant les juridictions royales : ils deviennent les « gens du roi », et sont à l’origine du ministère public.

     

    A – AVOCATS ET PROCUREURS

     Avocats et procureurs forment un duo d’auxiliaires de justice qui assistent les plaideurs à partir du XIIIe s., c’est à dire lorsque la procédure commence à évoluer dans un sens plus rationnel et que le modèle romain permet de renouer avec la notion de représentation en justice.

    Voici les grandes étapes de l’histoire de ces professions.

     République : avocats désignés par le terme « orator », n’interviennent que sur les questions de fait (le droit est de la compétence des jurisconsultes). Exigences, qualités requises : un talent oratoire (pas de compétences juridiques) qui, s’il est reconnu, peut devenir un « tremplin » politique. On acquiert dans l’exercice de la défense respect, notoriété, popularité, pour espérer accéder à une magistrature élective. La fonction est occasionnelle, honorifique, gratuite, et n’est pas réglementée.

     Empire : véritable profession strictement réglementée par la législation impériale (tarification des honoraires, exigences de capacité, règles de déontologie).

     Haut Moyen Age : plus de représentation en justice. La procédure (accusatoire et fondée sur la présomption de culpabilité) exige la comparution des parties en personne, afin qu’elles prouvent « physiquement » le bien fondé de leurs prétentions devant Dieu. En ce temps là « nul ne plaide par procureur », a-t-on coutume de dire.

     C’est avec la renaissance du dt romain et pour les besoins d’une procédure savante  et rationnelle, que l’on fait appel aux avocats (pour la plaidoirie) et aux procureurs (pour conduire la procédure) : dans un premier temps devant les cours d’église, ensuite devant les j° laïques.

     

    a /  Les avocats

     1274 : 1ère ordonnance royale réglementant la profession. Elle sera suivie de bcp d’autres jusqu’à la fin du M.A. Cette législation médiévale porte essentiellement sur les conditions d’accès, les obligations, et le comportement à l’audience.

     

    conditions d’accès à la profession

     

    -         être titulaire d’un diplôme en droit civil ou canonique

    -         effectuer un stage chez un avocat

    -         être inscrit sur le « rôle » des avocats (ancêtre du tableau)

    -         satisfaire à une enquête de religion (catholique) et de moralité.

    -         Tenir compte de certaines incompatibilités : exclusion des femmes[1] et de certaines professions (ex : la charge d’officier royal n’est pas compatible avec la profession qui, selon Loisel[2], « exige son homme tout entier » ; en revanche, à partir du XVIe siècle, les avocats peuvent enseigner à la faculté et ils seront nombreux à obtenir des chaires de dt français).

     

    Les obligations

     

    -  ils ont le monopole de la plaidoirie (la parole à l’audience) sans pouvoir empiéter sur les écritures réservées aux procureurs (cf. infra).

     

    -  ils ne peuvent demander d’honoraires excessifs : il s’agit d’une marque de reconnaissance qu’il appartient au client de fixer (assistance, service rendu au plaideur, et nullement source de profit). L’avocat est désintéressé, il travaille pour l’honneur (honor, honoraires).

    Développement de l’usage d’une « juste récompense », d’une « rétribution raisonnable » qui va être progressivement tarifée (limite fixée par les ordonnances royales à 30 livres)

    Les avocats sont également tenus d’abaisser leurs honoraires dans deux cas : cause dont l’enjeu est modique / lorsque les parties sont démunies.

    Enfin, il n’existe aucun moyen de se faire payer, une telle action en recouvrement d’honoraires étant considérée comme un manquement grave à la déontologie (passible de sanctions disciplinaires)

     

    -  Prohibition des pactes de quota litis (part du procès / part du résultat du procès) : convention stipulant que l’avocat recevra de son client une part du résultat obtenu en guise de rémunération (ex / part de la valeur de l’objet litigieux ou de l’indemnisation obtenue…). Ce type de pacte est interdit comme portant atteinte à l’indépendance de l’avocat puisqu’il fait dépendre la rémunération du gain du procès.

          → aujourd’hui, l’art. 10 de la loi du 31/12/1971 (modifiée par la loi du 10/07/1991) prohibe « toute fixation d’honoraires qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire ».

     

    -  ils doivent prêter un serment qui résume l’ensemble de leurs obligations (première prestation de serment lors de l’inscription au rôle, puis serment réitéré annuellement lors de chaque rentrée du Parlement)

     

    Le comportement à l’audience

     

    La législation royale réglementant la profession comporte certaines injonctions relatives à la ponctualité, la courtoisie (pas d’injures dans l’enceinte du prétoire), respect des coutumes locales ( pb de la diversité juridique et coutumière, tentation permanente de faire dire aux coutumes – droit oral et fluctuant, d’application incertaine quant au ressort – ce qui serait susceptible de servir les prétentions du client : il était donc important que les avocats s’engagent à ne jamais les fausser ni les déformer).

     

    Les ordonnances demeurent en revanche silencieuses quant à l’organisation de la profession.

     

    L’organisation de la profession

     

    Cette organisation, qui conduira à la mise en place d’un ordre des avocats (le terme apparaît au XVIIe siècle), n’est pas le fruit d’une volonté royale. Elle est née – de manière empirique- d’une rivalité entre avocats et magistrats.

    Les avocats n’ont en effet jamais exercé au sein d’une structure indépendante, car ils sont sous la tutelle des magistrats. Ils s’organisent néanmoins en corps professionnel, prenant en charge la discipline de la profession, mais ils ne sont pas indépendants.

    A la tête de l’organisation : le bâtonnier[3], élu par ses pairs. Son rôle est double :

    -         il veille à la discipline, formant à cette fin un conseil de discipline (avocats élus par les membres de la profession) chargé de sanctionner les manquements aux règles de déontologie (sanctions : réprimande, suspension, radiation).

    -         Il dresse chaque année la liste (rôle) des avocats admis à exercer selon l’ordre d’ancienneté (et qui remplissent les conditions d’âge, de moralité, de capacité fixées par les ordonnances) → origine du tableau.

    Il existe plusieurs étapes dans le développement de la carrière : les plus jeunes sont « avocats écoutants » (temps de formation durant lequel ils ne plaident pas)[4], ils deviennent « avocats plaidants » passé ce délai d’apprentissage, et s’ils acquièrent quelque notoriété, ils pourront se retirer du prétoire pour devenir « avocats consultants ».

     

    Jusqu’à la Révolution, cette organisation reste placée sous la tutelle du Parlement, ce qui engendrera des tensions permanentes entre avocats et hauts magistrats.

    Manifestations concrètes de la tutelle parlementaire : la maîtrise du Tableau.

    -         toutes les sanctions disciplinaires, bien que décidées par le corps des avocats,  doivent être homologuées par le Parlement.

    -         le tableau, tel qu’il est établi par le bâtonnier, doit être présenté à la Cour pour approbation.

    → tutelle très mal supportée par une profession qui aspire à l’indépendance, principal combat des avocats, qui ne sera récompensé que fort tard, par deux ordonnances de 1822 et 1830.

    → une situation aggravée par le comportement des magistrats traitant les avocats avec condescendance (dans les discours par ex., ou lorsqu’ils leur rappellent le contenu de leurs obligations avant les prestations de serments)

     

    Au-delà de la réglementation et de l’organisation de la profession, il convient de rappeler que les avocats ont joué un rôle décisif dans les progrès de la science du droit, conférant ainsi un certain prestige à la profession. Ils sont nombreux à avoir été de grands jurisconsultes. Certains ont laissé des œuvres majeures qui ont marqué leur temps (traités de pratique, recueils d’arrêts commentés, traités de droit public…)

    → La Roche-Flavin (1552-1627) avocat toulousain auteur d’une œuvre remarquable sur l’institution parlementaire.

    → Les XVIe et XVIIe siècles sont marqués par des avocats qui mettent leur science au service du dt coutumier : Antoine Loisel – déjà cité – Charles Dumoulin, Gui Coquille travaillent sur la notion de « droit commun coutumier ».

    → Un grand publiciste enfin, Etienne Pasquier (1529-1615), qui fut à la fois avocat, humaniste et historien.

    Aux  XVIe et XVIIe siècles, la science juridique est au Palais, incarnée par des avocats et des magistrats ; elle n’est pas à l’université, où l’enseignement n’a pas suivi ces progrès. La fin de l’Ancien Régime est aussi celui de la décadence des faculté de droit.

     

     b /  Les procureurs

     Fin XIIe , l’institution des procureurs se développe devant les cours d’église : elle est d’abord réglementée par le dt canonique (1274, Concile de Lyon). Les procureurs sont alors regroupés en une corporation placée sous l’autorité ecclésiastique. C’est sur la base de ce modèle canonique que la fonction de procureur va se développer en cour laïque.

     Fonction

     Les procureurs ont le monopole de la postulation : ils représentent les parties au procès mais – critère de distinction avec les avocats – sont chargés de conduire la procédure (accomplir les actes de procédure et favoriser le déroulement de l’instance).

     Statut

     Contrairement aux avocats, ils bénéficient du statut d’officiers royaux et subissent donc toutes les conséquences de la patrimonialité des charges. Pour intégrer la profession, ils doivent remplir certaines conditions d’âge, de capacité, de moralité (dispenses aisément obtenues, comme pour les magistrats)

     Cette dualité de représentation (avocat / procureur – droit / procédure – parole / écrit) présentait des inconvénients :

    -         les procureurs sont tombés dans les mêmes travers que les magistrats : pour rentabiliser l’achat d’une charge coûteuse, ils multipliaient les actes dilatoires (cf le système des épices), allongeant ainsi abusivement la procédure et augmentant  considérablement le coût de la procédure pour les plaideurs. De toutes les professions judiciaires, celle de procureur était la plus impopulaire : ils sont détestés par les justiciables, qui se plaignent du « foisonnement de menus papiers » que les procureurs échangent pour « tirer monnaie de chaque geste ».

    -         Cette double représentation était en outre mal comprise par les justiciables car la frontière droit – procédure n’a jamais été clairement définie, que le monopole de chaque profession n’était pas absolu. Il en est résulté une concurrence et une rivalité permanentes entre les deux professions, qui fut préjudiciable au justiciable.

     

    [ Evolution

     Après la Révolution, le procureur renaît sous la dénomination d’avoué. L’administration de la justice restera marquée par cette dualité / rivalité entre avocats et avoués jusqu’à la fusion contemporaine des deux professions par la loi du 31 décembre 1971 (à l’exception des charges d’avoués près les cours d’appel, qui gardent le monopole de la postulation). ]

     Ces avocats et procureurs, rivaux et complémentaires, travaillent en principe avec une clientèle privée. Mais très tôt, certains d’entre eux se mettent au service du roi : cette spécialisation va donner naissance au ministère public.]

      

    B -  AUX ORIGINES DU MINISTÈRE PUBLIC

     

    XIIIe siècle : certains procureurs se spécialisent dans la défense des droits du roi (devant les juridictions royales), et lui réservent même l’exclusivité de leurs services (la fonction est officialisée par une ordonnance de 1303).

    Une évolution parallèle, mais plus tardive, a également concerné certains avocats, de sorte qu’à la fin du MA, on distingue les procureurs / avocats ordinaires (travaillant pour une clientèle privée) et les procureurs / avocats du roi – encore appelés « gens du roi » – qui sont devenus magistrats (leur charge est devenue un office de judicature).

     

    De la défense des droits du roi au ministère public

     Ils sont chargés à l’origine de défendre les droits du roi ( le roi entendu comme personne et pas encore comme institution : conception personnelle et patrimoniale du pouvoir, où le royaume – ensemble de biens, de territoires, de pouvoirs – est encore fondu dans le patrimoine personnel du roi). Mais l’évolution du pouvoir monarchique va alors dans le sens d’une institutionnalisation et d’une dépersonnalisation qui tend à faire du roi le serviteur, le ministre de la Couronne (cette entité supérieure, permanente, et distincte de sa personne éphémère). On ne parlera plus alors de la défense des droits du roi, mais des droits de la Couronne, la Couronne étant la formulation médiévale de l’idée moderne d’Etat. Les « gens du roi » deviennent donc les gardiens des droits de la Couronne (de l’Etat monarchique), investis comme le roi d’un « ministère public » de justice[5].

     

    Dualité procureurs et avocats du roi (en matière pénale)

     Les procureurs se chargent de la procédure écrite, les avocats de la parole à l’audience. Les procureurs auront donc un rôle à jouer dans la procédure criminelle écrite – procédure extraordinaire – réservée aux crimes les plus graves ; les avocats devront suivre les affaires mineures dans le cadre de la procédure ordinaire, caractérisée par la publicité et l’oralité des débats.

    cf. chapitre suivant relatif à la procédure

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

    [1] Rappel culture générale : la première femme avocat fut Jeanne Chauvin en 1900.

    [2] Antoine Loisel (1536-1617) : avocat et publiciste français, auteur du « Dialogue des avocats du Parlement de Paris ».

    [3] Origine du mot : les avocats appartiennent depuis le XVe à la confrérie de Saint Nicolas. Parmi les membres de la confrérie – « maîtres » – le premier d’entre eux, appelé bâtonnier, est chargé de porter le bâton contenant les reliques du saint, lors des processions et cérémonies publiques. Le nom est resté pour désigner le chef de l’ordre des avocats

    [4] L’avocat « écoutant » suit au Palais les leçons de ses maîtres et écoute leurs plaidoiries. Bernard de La Roche-Flavin (avocat puis magistrat toulousain au XVIe siècle) parle de « ces avocats écoutants qui suivaient les audiences pendant plusieurs années pour s’instruire de ce qu’ils n’avaient pas appris à la faculté » (la science du dt n’est pas à l’Ecole mais au Palais…). Le principe du stage des jeunes avocats « écoutants » est copié sur le noviciat des religieux : l’avocat stagiaire est un novus.

    [5] Pourquoi le « ministère public » de justice serait-il réservé aux seuls juges chargés de la défense des droits de la Couronne, alors que le service de la justice est une charge publique qui incombe à tous les juges ? C’est au cours du XVIIIe siècle que l’expression s’appliquera plus particulièrement aux gens du roi, parce qu’ils sont censés exercer la partie la plus éminente de ce ministère : la défense de la paix publique (ordre public, dirait-on aujourd’hui), en veillant au respect des ordonnances royales. Nous verrons qu’ils assument à ce titre un rôle fondamental dans la conduite du procès criminel. C’est également au XVIIIe siècle qu’apparaît le terme « Parquet » pour désigner ces gens du roi, magistrats du ministère public : à l’origine, il s’agit d’un lieu clos, le « petit parc », où se réunissaient tous les juges, puis le terme a servi à désigner la chambre réservée aux gens du roi..

     



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